Cela faisait des années que je rêvais d'aller dans les Dolomites. Mais parfois, entre ce que l'on veut et ce que l'on peut, il y a un certain décalage. J'aurais bien aimé pouvoir prendre une grosse semaine sur place pour préparer au mieux ce LUT et profiter de la région, mais malheureusement, je travaillais jusqu'à mardi midi. C'est donc mardi soir, après un voyage assez épique (orage monumental, bouchons, et même un glissement de terrain à 5km de Cortina) que nous arrivons sur place, dans un charmant hôtel familial, l'hôtel Menardi, où malgré l'heure tardive, nous sommes accueillis chaleureusement.
Le mercredi, je découvre le paysage époustouflant qui nous entoure, sous un soleil radieux. Mon mari me dépose au refugio Gallina, qui sera le km 95 du parcours, dont je souhaitais reconnaître les 26 derniers km. Les paysages et la lumière sont incroyables et c'est donc sur un rythme bien tranquille, entrecoupés de multiples pauses pour m'imprégner de la magie des lieux et admirer les multiples marmottes dont je croise la route, que je rejoins Cortina. L'après-midi est un vrai supplice, puisque je n'ai qu'une envie, celle de parcourir une des multiples via ferrata qui surplombent Cortina.
Le jeudi, je parcours les 16 premiers km de la course, ce qui là aussi me prend un certain temps. Quand je rejoins le refugio Ospitale, où je dois récupérer mon vélo pour retourner à Cortina, je me sens assez fatiguée et commence à me demander si je n'en fais pas un peu trop, pour une veille de course. L'après-midi est donc vraiment tranquille et je ne m'attarde pas à la remise des dossards. Le vendredi, jour de la course, commence par une courte mais incroyable ballade autour des Tre Cime, avant d'aller siester une bonne partie de l'après-midi. Ensuite commence l'étrange attente, qui me semble interminable.
A 22 heures, alors que je commence à être plus d'humeur à lire tranquillement ou dormir, il est temps de me préparer. C'est assez étrange, de sortir s'échauffer dans la nuit, à une heure où, habituellement, je dors déjà depuis un petit moment. De fait, je me sens toute molle, pas anxieuse ni nerveuse pour un sou, mais pas vraiment décidée à forcer, ce qui fait que mon échauffement se réduit à un vague trottinage désordonné. Je croise Brice, mon collègue de chez Hoka, et on se place ensemble au départ. Le speaker a beau en faire des tonnes, la foule nous acclamer, la musique tenter de nous émouvoir, je n'éprouve aucune émotion, aucun stress et peine à réaliser que je pars pour 119 km. Quand le départ est donné, j'ai d'ailleurs l'étrange sensation, sur le premier km, de courir comme si je prenais un tapis roulant à l'envers. Au bout de 500 mètres, Nathalie Mauclair est déjà plus de 100 mètres devant moi, au bout d'un kilomètre, je ne la vois même plus.
Lorsqu'on attaque la première côte, j'ai enfin la sensation de réintégrer mon propre corps et de pouvoir être à l'écoute de mes sensations. Durant la première ascension, je me sens d'ailleurs de mieux en mieux, si bien que, quand on attaque la belle descente qui suit, je ne peux m'empêcher d'aller à fond, juste pour le plaisir. 8km de pistes plates ou montantes plus loin, on arrive au refugio Ospitale, où est situé le premier ravitaillement. Adrian Perez, mon fantastique assistant, m'annonce 5 mn de retard sur Nathalie. Je suis un peu surprise que l'écart soit si important, car je n'ai pas trop traîné en route.
S'ensuit une longue ascension, suivie de superbes morceaux de descentes, jusqu'au second ravitaillement de Federavecchia (KM33). Je dépasse régulièrement des concurrents et me sens bien, tout en veillant à ne pas m'emballer et à conserver une allure fluide et détendue. On m'annonce 6 mn de retard, ce qui me surprend un peu car j'ai vraiment l'impression d'avoir bien avancé sur cette portion. Je me dis que Nathalie est sans doute dans un grand jour et que, ma foi, si elle est meilleure, tant mieux pour elle et que je dois juste gérer ma course en écoutant mes sensations propres et sans me laisser affecter par quoi que ce soit. Le chemin en direction du refugio Auronzo (km48) est juste incroyable, alternant petits sentiers ludiques, et belles portions de montées. Avec une belle musique dans mes oreilles, en pleine nuit, je suis au paradis et souhaiterais d'ailleurs que le jour ne se lève jamais. Arrivée à Auronzo, on m'annonce 1mn de retard sur Nathalie... et bientôt, je la rejoins.
L'aube se lève et on peut profiter des Tre Cime qui nous surplombent, il fait bien frais, c'est magique. Mais je tergiverse un peu: dois-je doubler Nathalie, au risque de reproduire la situation des mondiaux, durant lesquels je menais la course sans jamais connaître les écarts avec elle et m'étais fait reprendre sur la fin, ou dois-je me caler sur son allure et m'économiser pour la doubler plus loin? J'hésite un peu, et puis en voyant qu'elle commence à marcher dans une montée que je me sens largement capable de courir, je la dépasse, puis accélère pour essayer de creuser l'écart. Durant les 10 km de descente qui s'ensuivent, je suis à bloc et dépasse au moins 4 ou 5 concurrents, dont Freddy Thevenin, le sympathique coureur de la Réunion, qui me sauve la mise en m'évitant une trop sérieuse erreur de parcours, lorsque je m'engage dans la mauvaise direction.
S'ensuivent 6 ou 7 km de piste plate et monotone, qui m'entament sérieusement, d'autant plus qu'ils précèdent une montée qui a juste, à mon goût, la mauvaise pente: trop plate pour marcher, trop raide pour courir facilement. Je m'efforce de courir, ou au moins d'alterner marche et course, si bien qu'arrivée en haut, je suis fracassée et ai l'impression de ne plus savoir coordonner mes mouvements. Heureusement, la descente qui suit est facile et jolie et je retrouve progressivement de l'énergie. Au ravitaillement du 77e km, je suis à nouveau toute fraîche et motivée et m'apprête à attaquer une belle montée. J'ai dû mal lire le profil, parce que, en fait de montée, c'est une magnifique descente dans les bois qui m'attend. Elle commence assez mal, puisque, occupée à manger une banane, je ne regarde pas bien le sentier et me prend une gamelle assez violente, d'autant plus que, pour sauver mon repas, je ne me suis pas rattrapée correctement avec mes mains.
Sonnée, il me faut un peu de temps pour pouvoir marcher à peu près droit mais, persuadée que Nathalie est à mes trousses, je ne m'autorise pas de temps mort. Quelques km plus loin, on entre en bas du Val Trevenanzes, et je sais qu'une montée de 1000m sur près de 10km nous attend. Le paysage est grandiose, mais, petit à petit, je me sens de plus en plus mal. J'ai soif, mais en même temps, j'ai l'impression de me gorger d'eau; ma banane est loin, mais rien que de penser à manger, j'ai envie de vomir... envie qui commence à devenir insistante!
Je décide alors d'essayer de me déconnecter mentalement de mon effort et je me mets à penser à tout et à rien, au livre que je lis, à mes enfants, à des recettes de cuisine.. Cela ne marche pas si mal et, progressivement, l'envie de vomir s'atténue. Par contre, le sentier est quand même pénible, puisqu'il parcours longuement un lit de rivière, rivière que l'on franchit d'ailleurs régulièrement. A force, je finis évidemment par atterrir à pieds joints dans l'eau, puisque, n'ayant pas envie de perdre du temps à chercher les bons passages pour traverser, je tente des sauts de plus en plus hasardeux. Au bout d'un moment, je crois être arrivée au col, enfin! Youpi, la fin est proche! Mais Argh! en fait de col, c'est juste un tournant, et la vallée continue à perte de vue! C'est atroce!
Mais comme tout à une fin, je finis enfin par arriver au vrai col et à entamer la longue descente, entrecoupée d'une rude montée, qui me mène au Col Gallina. Je rattrape alors un concurrent, le premier depuis au moins 2 heures de temps. Au Col, je retrouve mon assistant et manque de pleurer de joie d'en avoir enfin fini avec cette galère. Enfin je vais pouvoir aborder la dernière portion du parcours: une petite montée de rien du tout, des beaux sentiers en balcons, ça va être super! Mais, à mon grand étonnement, on ne rejoint pas du tout la montée que j'avais parcouru en reconnaissance; au contraire, on part dans le sens opposé et on se met à descendre carrément franchement. Ouh, ça sent le roussi, ça! Ce qu'on descend, on devra forcément le remonter! Et effectivement, la "petite montée de rien du tout" se transforme en 500m de D+! Mais étrangement, plus je monte, plus je me sens en forme et, arrivée en haut, j'ai la bonne surprise de constater que je suis très à l'aise dans la descente qui suit.
Et là, enfin, on rejoint les sentiers que j'avais parcourus mercredi. Ils sont beaux, techniques et je m'amuse, toute étonnée de voir que, pour la première fois sur une course aussi longue, je n'ai ni mal de dos, ni mal de ventre ou de genoux qui m'empêchent de bien courir en descente! De nouveau, au Passio Giau (km 102), je suis toute émue et manque de pleurer en voyant mon assistant. Je sais maintenant que je vais aller au bout de cette course. Je m'emballe un peu trop et, dans une descente raide, je manque de me prendre une chute monumentale et me rattrape de justesse! Je prends cela comme un avertissement et m'enjoins de me concentrer un maximum.
Encore deux montées, dont une assez sévère, et je rejoins enfin la belle descente finale, durant laquelle je rattrape encore un concurrent dans les parties techniques. Mais me voyant arriver, il pose une belle accélération sur les pistes vallonnées qui nous amènent au-dessus de Cortina et je n'ai pas du tout le coeur de me bagarrer pour une place. La fin est rude, puisqu'on remonte un peu pour aller rejoindre le haut de la ville. Une fois en ville, je suis de plus en plus émue et portée par les encouragements chaleureux des gens. Une courte remontée et c'est enfin l'arche d'arrivée! J'apprends alors que, avec mes 13h40'34'', je ne suis qu'une heure et 5 mn derrière le gagnant du jour (8%) et que je me place 10e au scratch. Je n'en reviens pas! J'attends Nathalie pour la féliciter, sans me rendre compte que de rester ainsi au soleil, assise sur mon banc, m'épuise et je vais d'ailleurs le payer assez cher au cours de l'après-midi puisque je me sens incroyablement mal: je suis bientôt incapable de rester assise, de boire ou de manger. Heureusement, ça finit par passer et, le soir, je suis capable d'aller savourer une bonne pizza!
En conclusion, je dirais que, plus je fais de l'ultra, plus je réalise que c'est un effort incroyablement mental: il faut être capable de se tirer dessus, de résister constamment à l'envie de marcher au lieu de courir/de s'accorder un moment de répit/de s'asseoir un petit moment pour souffler. Je crois que c'est surtout cet engagement mental qui est épuisant et qui fait qu'il est difficile de courir trop d'ultra dans une saison.
Enfin, un immense merci à tous ceux qui me soutiennent et en particulier à mon fantastique assistant Adrian Perez! Merci aussi à vous lecteurs, si vous avez pu venir à bout de mon long récit sans vous endormir :-)
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